Alors que le championnat version 2020-2021 vient de démarrer, le directeur général de l’US Ivry Handball, Pascal Léandri se livre à un long entretien au cours duquel il évoque l’avenir du club, les dossiers brûlants et toute l’actualité du handball tricolore.

Pascal, la saison vient de reprendre et l’on sent que l’exercice qui s’ouvre, au delà des conditions sanitaires forcement spéciales, va être très particulier pour le club…
En effet, il y a un an, sous l’impulsion de notre président, lors d’un séminaire, les élus du club se sont réunis afin de redéfinir le projet qui est le nôtre. Celui-ci va donc s’étaler sur la période 2020-2024. De ce séminaire sont ressorties des valeurs : « engagement, formation, performance ». Autour de cela, il nous (les salariés du club) a été demandé de transformer ces valeurs en vision et objectifs. Nous avons sollicité des ressources externes, Annaëlle Malherbe et Frédérik Vergnas, pour nous aider dans ce travail et on a donc décliné cette vision en une formule : « Construire, partager, gagner pour vivre notre histoire ». Des axes de travail ont alors été fixés avec des objectifs et des moyens pour y parvenir. L’idée étant de bien définir ce que les élus et les salariés attendent de l’équipe professionnelle, tout en le déclinant sur tout le club.

« Construire, partager, gagner pour vivre notre histoire »

Quels sont alors les objectifs ?
Maintenant que nous avons réussi à restabiliser l’équipe professionnelle en première division, nous avons le droit d’avoir des ambitions, c’est quelque chose de légitime. L’idée est, sur 2020-2024, d’être ambitieux pour marquer l’histoire du club. Et comme on le sait tous, marquer l’histoire d’un club comme Ivry, c’est gagner des titres. Il faut donc que l’on se remette en capacité, à terme, de gagner des titres. Pour l’équipe pro, cela passe par un nombre de victoires définies. On a donc décidé du nombre de victoires plancher que l’on veut engranger cette saison et la suivante, car on va partir sur un premier cycle de deux ans. Il y aura un nombre de victoires à domicile et à l’extérieur.

Il était nécessaire d’amener un cadre encore plus prononcé ?
Dire : « On va faire du mieux possible », c’est clair mais ce n’est pas clair. Quand les choses sont fixées autour d’une vision, on sait quel cap tenir. La ligne est donc tracée et l’horizon, on le voit bien. Aujourd’hui, on sait tous où on veut aller, ce n’est pas un peu à gauche et un peu à droite. Le projet va donc d’abord s’étaler sur deux ans pour ensuite aller sur des objectifs plus élevés, comme pourquoi pas gagner des coupes. Pour y parvenir, il faut être en capacité de battre tout le monde, ce que l’on est capables de faire depuis deux ou trois ans, à l’exception de deux équipes, Paris et Nantes. Mais, tous les autres, on les a déjà au moins battus une fois à domicile. On est donc partis de ce constat pour dire cette année, on veut tant de victoires à domicile et tant à l’extérieur. Sous peu, on veut être à 80 % de victoires à domicile afin d’aller plus haut. La difficulté sera d’enchaîner les matchs et les victoires – comme pour l’enchaînement Saint-Raphaël, Dunkerque, Tremblay qui se présente –, cela s’apprend aussi.

Ces objectifs clairs sont nécessaires pour le club mais aussi pour communiquer vers l’extérieur…
L’idée est de donner un maximum de visibilité à tout le monde. Cela est valable en interne avec les pros, le centre de formation ou chez les plus jeunes encore, même si dans ce secteur, les performances sont déjà très élevées pour nos équipes. Et ce, même si notre axe de développement principal est tourné vers le plaisir de jouer – d’autant plus ces derniers mois et semaines –. D’autant qu’à l’USI, le sport professionnel côtoie constamment le sport plaisir, le sport pour toutes et tous, avec des objectifs d’émancipation et de solidarité importants.

Ces annonces sont aussi une nécessité afin de replacer le club sur la carte nationale ?
Ivry reste un club historique important. Parler de ces objectifs, c’est montrer notre ambition et peut-être qu’à un moment, nous n’avons pas été assez clairs par rapport à cela. Peut-être avons nous fait preuve de trop d’humilité et de modestie. Si cela est clair pour nous, cela le sera pour les autres : nos partenaires, nos adversaires, les journalistes, la LNH ou les instances. Néanmoins, notre place dans la hiérarchie nationale sera en fonction de nos résultats et cela est vrai pour les 16 équipes de Lidl Starligue. Il y a du travail bien fait chez nous, nous voulons le faire savoir, et je pense qu’il est bien que chacun mette en avant ses atouts. Il n’y a pas que 3 ou 4 clubs dans le championnat… Il y a des histoires à raconter partout, des façons d’avancer diverses. Nous, on veut emmener tous ceux qui ont envie de rêver avec nous. On a le droit d’être ambitieux et d’aller gagner des titres. Et on le dit !

L’US Ivry, c’est aussi une voix importante à porter dans les instances ?
Notre expérience montre, en étant présent depuis la création de la LNH, qu’apporter un regard critique mais bienveillant sur certaines choses permet de progresser. Tous les avis doivent pouvoir s’exprimer et permettre à l’ensemble des interlocuteurs d’être tirés vers le haut. On dit souvent que seul on avance plus vite, mais qu’à plusieurs on avance plus loin. Sur les potentielles alternatives pour le championnat actuel (voir détails sur le site de la LNH), je ne suis pas certain que l’on soit parti sur une bonne formule. Je comprends l’envie de jouer absolument, c’est vital, mais quand le syndicat des entraîneurs exprime son opinion et que cela n’est quasi pas pris en compte, je pense que l’on passe à côté de quelque chose. Ce sont tout de même des personnes en capacité de réfléchir… D’autant que les avis étaient assez proches que les coachs viennent de clubs jouant le titre, la Ligue des Champions ou ayant d’autres objectifs.

Quels sont les moyens mis en œuvre pour atteindre ces nouveaux objectifs ?
Il y a d’abord une ambiance générale que nous avons retravaillée autour du club. Si nous continuons de nous projeter sur une plus grande salle – et l’on a vu que les très grandes salles en termes économiques ce n’était pas toujours une réussite, il faut donc réussir à monter un dossier très solide –, Delaune est un écrin que l’on a souhaité redorer. Souvent, les mauvaises langues disent que notre salle est obsolète, mais je veux juste faire remarquer, en toute humilité, qu’à Paris, il y a certes Bercy, le Parc des Princes, le Stade de France ou encore la U Arena, mais que cela n’empêche pas l’Olympia d’accueillir des spectacles. Un grand artiste aime faire Bercy et les autres grandes salles, mais il aime aussi faire l’Olympia. Delaune c’est l’Olympia ! Et c’est un lieu qui a vu quasiment tous les plus grands joueurs de l’histoire venir pratiquer sur son parquet au moins une fois. C’est un monument historique du handball. Ensuite, en terme de structuration, il y a le passage en société, sur lequel nous oeuvrons. Cela ne doit pas être un passage en société juste pour passer en société, cela doit nous permettre d’évoluer. Notre objectif est un passage en coopérative à l’image de nos valeurs et de notre histoire. Le chemin n’est pas sans embuche, mais l’US Ivry est un club audacieux et innovant.

Enfin, nous avons mis de nouveaux moyens sur la communication avec l’arrivée de Rudy pour gérer mieux encore nos réseaux sociaux. Car aujourd’hui le savoir-faire est important, mais le faire-savoir l’est tout autant.

D’autant que sportivement, il y a eu une très belle attitude de l’équipe la saison dernière…
Oui. Et on est clairement frustré de la saison dernière. Autant lors de la première partie, on avait montré de bonnes choses et de moins bonnes, autant sur le début de la seconde partie, on avait fait des choses intéressantes en alignant que des victoires à domicile contre des équipes plutôt solides dans le championnat. Ce qui est dommage, c’est que l’on n’est pas allé au bout alors qu’on allait aborder une série de rencontres face à des équipes concurrentes, qui peut-être nous aurait permis d’aller plus haut que la 12e place du classement. On aurait potentiellement pu aller disputer la 7e place. Dunkerque n’était qu’à 2 points.

Concernant Delaune, quelles sont les évolutions ?
Grâce à la mairie d’Ivry-sur-Seine et des échanges constructifs incessants, on a pu réafficher, en extérieur, sur un grand support, ce qu’est Delaune, cette salle qui fait vibrer les Ivryens et tout un territoire depuis des années. On voulait que la salle soit encore plus identifiable dans cette ville qui fait le choix de soutenir le sport de haut- niveau et le sport pour toutes et tous. À l’intérieur on a aussi souhaité remettre en avant ce qui fait l’histoire et le présent du club. On a quand même 17 titres : 9 en filles et 8 en garçons. Les titres que l’on a, on ne les a pas volés. On les mérite… donc on a décidé de remettre cela en avant ! Les afficher, ce n’est pas plastronner, c’est se rappeler à nous-mêmes ce dont l’on a été capables, ici. C’est se rappeler que l’on fait partie d’une grande histoire qu’il faut continuer à écrire. Dans le même état d’esprit, on a souhaité mettre en avant nos plus grands joueurs et nos plus grandes joueuses avec des grands fanions à leurs effigies. Il faut inspirer et s’inspirer. Aussi, nous avons refait les vestiaires pour que les joueurs se sentent encore plus à l’aise. Delaune est un lieu de haut-niveau et de performances, on tient à ce que ça se sache.

« Quand un joueur comme Léo Martinez signe pour une saison supplémentaire, c’est qu’il a envie de prolonger l’aventure. »

Si on parle de moyens, il y a la question du budget. Celui de l’US Ivry est loin des leaders habituels du championnat. Est-ce un frein ?
Évidemment quand on dit que l’on veut regagner des titres, on sait que l’on doit reconstruire sur la durée. Améliorer notre structuration, c’est se projeter afin d’avoir les moyens de se développer. Chaque budget a ses contraintes et il faut que nous soyons capables de mettre nos atouts en avant. Un club comme le nôtre, ce n’est pas que l’équipe pro, un gymnase et des matchs : c’est une façon d’être, une façon de vivre le handball de haut niveau. L’équipe pro permet à l’ensemble du club de se développer, d’avoir un centre de formation qui est de plus en plus performant et permet de faire éclore des joueurs et de favoriser le sport toutes et tous. Notre budget, c’est un paramètre parmi d’autres. On essaye de l’améliorer mais on trouve aussi de bons équilibres dans nos recrutements. Les pros ont envie de rester, les jeunes de venir. Quand un joueur comme Léo Martinez, et on peut le dire, signe pour une saison supplémentaire, c’est qu’il a envie de prolonger l’aventure.

L’aventure humaine et sportive est au cœur du projet…
Je crois que les joueurs sont heureux de porter les couleurs au-delà de l’aspect purement salarial. Une carrière de sportif pro ne se résume pas à ça. L’épanouissement est très important. Et on est heureux de les voir s’épanouir et porter fièrement le Rouge et Noir.

Construire, c’est faire des choix forts ?
Notre ADN, c’est la formation. C’est un projet de club d’amener des jeunes joueurs vers le haut niveau. A Ivry, on donne les moyens et la chance au plus grand nombre même s’il y a peu d’élus. On est bien coordonné du centre de formation vers les -13 ans en passant par les – 18 ans et les – 15 ans. Sur notre secteur des gardiens par exemple, on a été critiqué en disant que l’on n’avait qu’un seul pro, Mate Sunjic, que c’était pour faire des économies… C’est faux. Mate Sunjic est un top gardien qui est capable de tenir le poste mais quand derrière vous avez deux jeunes, Jean-Emmanuel Kouassi et David Bernard qui démontrent de vraies qualités, vous composez quelque chose d’inédit. En effet, ce sont nos jeunes, nous voulons les amener vers le haut niveau mais nous voulons aussi qu’il développe jusqu’au bout leur projet scolaire. Ces jeunes ont du potentiel, on le sait mais il faut aussi qu’il termine leur formation initiale. On fait aussi des choix forts en ayant quelqu’un comme Jordan Yamdjeu comme 3e pivot, ou en faisant occuper par Antonin Mohamed et Walid Badi, le poste d’ailiers gauches. Ce sont deux produits du club avec des têtes bien faites.

Le scolaire reste très important ?
On n’oublie pas notre dimension sociétale. À l’USI, on forme des sportifs, des diplômés et des citoyens. Quelqu’un qui fait des études, cela l’aide à être meilleur dans sa pratique du handball. Il prépare son avenir dans le handball et l’après handball. Et ce que l’on veut, ce n’est pas imposer une formation. On propose un panel d’offres le plus large possible. Si tu es bien, tu es épanoui, tu vas avoir plus facilement ton diplôme et tu seras meilleur au handball ensuite. C’est un cheminement qui permet d’avancer vers le sport de haut niveau et pas seulement professionnel.

Comment ont réagi les joueurs à ce projet ?
Je les ai sentis à la fois concernés et prêts à venir avec nous en se disant : « oui, c’est cela que l’on a envie de faire ». Ils avaient besoin de clarté, de savoir comment on allait faire les choses. Le cap fixé aide beaucoup même si on sait que cela ne sera pas facile. Le contexte va apporter de l’incertitude mais nous ferons avec. C’est d’ailleurs pour cela que nous avons pris le temps, à la reprise, de mettre les joueurs dans les meilleures conditions. On voulait d’abord « sortir » du confinement en faisant des ateliers, en debriefant. On voulait respecter du mieux possibles les protocoles. Après tout ce temps, on voulait d’abord refaire du handball, se dépasser ensemble et ensuite Construire, partager er gagner pour vivre notre Histoire.